LE BÉNIN A UN IMMENSE TALENT : UN COUP D’ÉTAT SANS SOLDATS NI FUSILS
Coup d’État sans bang-bang, la mise en scène d’un vide militaire ; des preuves sans preuves
À l’ère de la Rupture, l’invitation nocturne devient traquenard ou l’art de trahir ses amis à minuit
Garde-à-vue ou garde à l’ombre ? Quand les avocats cherchent leurs clients
Peut-on condamner pour des rêves de coup d’État ? Pour l’intention ou pour l’exécution ?
De toutes les tentatives de coup d’État qui ont émaillé l’histoire politique du Bénin depuis 1960, celle-ci détient sans doute la palme de l’étrangeté : on arrête des suspects qu’on cache au secret, les avocats sont priés de rester à la porte, et les preuves semblent converser dans un babillage incompréhensible où les faits n’ont jamais appris la même langue. Pourtant, la Chambre d’Accusation avait, déjà en 2013, gravé dans le marbre cette évidence : les actes préparatoires ne sont point punissables – sauf, sans doute, quand ils s’ouvrent au théâtre de l’absurde.
Attention, attention, chers adeptes des débats nocturnes, point d’avocats ici pour l’un ou pour l’autre ! Il s’agit de narrer une histoire où la Rupture s’entre-dévore, comme Cronos dévorant ses fils, et de peindre avec gouaille les contours des paradoxes que nous offre notre théâtre politico-judiciaire. On voudrait prêter main forte à la Justice, mais voilà qu’elle s’égare dans un maquis de preuves volatiles et d’erreurs matérielles grossières. Et c’est ainsi que l’édifice de l’accusation chancelle comme une chaise bancale.
Au commencement était la scène d’arrestations dignes d’un film hollywoodien, sauf que le scénario, lui, flirte avec la farce. Olivier Boko, fidèle parmi les fidèles du Président Talon, arrêté comme un vulgaire contrebandier, par des hommes masqués et armés, avec une épouse au volant, sans motif immédiat, sans explications. Oswald Homeky, ancien ministre, réveillé en pleine nuit, accompagné du colonel Tévoédjrè, l’officier opérationnel supposé, aussitôt libéré, mais qui, aux dires de la famille Homéky, serait venu en grande pompe à la tête de la brigade criminelle elle-même. Voilà nos héros enfermés depuis une semaine, gardés au secret comme des reliques sacrées, inaccessibles aux avocats comme aux médecins, tandis que ces mêmes avocats tournent en rond dans l’indifférence, battant en vain aux portes closes du Code de procédure pénale.
Que vaut cette confusion de dates et de chiffres ?
Et pour ceux qui pensaient que le spectacle touchait à sa fin, voici le coup de théâtre : deux descentes à domicile, pour récupérer les bandes de vidéosurveillance, sans avertir les avocats, évidemment. La famille Homeky tremble à l’idée que les seules traces d’une preuve que le colonel était bel et bien venu en même temps que la brigade criminelle, et non qu’il était sur place avec Oswald Homéky avant l’arrivée de l’unité de la police – si elle existe – ne s’effacent à jamais. Mais comment s’étonner de ce bal des ombres quand on découvre le dossier : une affaire de coup d’État aux allures de mascarade, où les pièces maîtresses relèvent plus du bricolage que de la justice.
Le Procureur Spécial, dont on saluera l’élan, en perd visiblement son latin juridique. La preuve maîtresse ? Un compte bancaire ouvert, soi-disant, à la NSIA Banque, au nom du colonel Tévoédjrè. Enfin, c’est ce que l’on croyait. Parce que la banque en question, ou plutôt le Groupe NSIA, dément catégoriquement : aucune trace de ce compte, seulement une police d’assurance, souscrite non pas en août mais en juillet 2024, un mois plus tôt. Que vaut cette confusion de dates et de chiffres ? Un montant de 105 millions pour le Procureur, 55 millions selon la banque. Voilà une cacophonie arithmétique qui ferait frémir Euclide lui-même. Mais le plus tragique, c’est cette bévue institutionnelle : une assurance-vie prise pour un compte bancaire, comme si confondre une plume et une enclume devenait soudainement tolérable dans le monde judiciaire.
La preuve incombe à celui qui accuse
Et parlons-en, du monde judiciaire. Qui se rappelle encore les ordonnances de non-lieu rendues les 17 mai et 1er juillet 2013, où les sieurs Talon et Boko furent graciés exactement dans les mêmes conditions ? Où l’on avait déjà cherché en vain les preuves d’un coup d’État, et où le droit triompha en écartant les simples actes préparatoires, ces intentions qui ne valent pas action. Alors pourquoi aujourd’hui ces mêmes faits, cette même mise en scène, devraient-ils aboutir à une issue différente ? S’il fallait punir des intentions, n’est-ce pas que toute la société serait derrière les barreaux ?
La brigade criminelle, elle, patauge, cherchant désespérément à établir un lien entre Olivier Boko, Oswald Homeky, et cette fantomatique remise de fonds. Mais _ »Affirmanti incumbit probatio »_ : la preuve incombe à celui qui affirme. Or, ni traces d’échanges, ni documents de planification, ni complot ourdi dans la pénombre de la nuit béninoise. L’accusation semble ignorer cette maxime sacrée du droit : cogitationis poenam nemo patitur – nul ne peut être puni pour ses pensées. Une maxime que le duo Talon-Boko avait savouré comme un bon vin, eux qui en 2013 furent sauvés par ce même principe.
« Les actes préparatoires ne sont pas punissables »
Encore une fois, on cherche ce « coup d’État » que la Justice peine à nommer. Un coup d’État suppose des armes, des hommes en treillis, un discours de transition… Mais non, ici, point d’armes brandies, point de conjurés au garde-à-vous. Juste deux hommes, Olivier Boko et Oswald Homeky, dont l’un, dit-on, aurait été en contact avec un mystérieux colonel – lui, en liberté, et jamais rappelé à l’ordre. Mais alors, demande le public médusé : qui donc mène la danse ? Qui est ce fantôme du coup d’État annoncé ?
Et puis, la farce atteint son paroxysme quand l’on découvre que l’acte accusatoire repose sur de simples numéraires retrouvés dans un véhicule, là où la moindre tentative de renversement exige une orchestration militaire, un déploiement d’armes et de munitions, une coordination de forces… Hélas, le théâtre reste vide, le rideau tombe avant même que la pièce ne commence. Dites-moi donc, chers lecteurs : s’agit-il de complot ou de simple projection d’ambitions déçues ?
Où est la preuve ? Où est le commencement d’exécution ? On dit que « les actes préparatoires ne sont pas punissables ». La Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Cotonou en 2013 l’a gravé dans le marbre du droit béninois. C’est cela, chers amis, la tragédie d’une farce judiciaire : vouloir punir des idées, des mots murmurés, sans acte, sans action. Cogitationis poenam nemo patitur. Et, de grâce, éloignez-vous de ces amis qui vous convoquent en pleine nuit pour de mystérieuses confidences. Vous risqueriez de vous retrouver à jouer, bien malgré vous, dans une comédie dont personne ne connaît la fin.
François Comlan