Monsieur le Président,
Que vos hautes fonctions ne soient pas ébranlées par mes paroles, car elles ne cherchent ni à troubler votre Cour, ni à remettre en question sa noble autorité. Vous et moi partageons, je le crois fermement, la même quête impérieuse de vérité. Je ne suis ni avocat chevronné, ni donneur de leçons ; seulement un chroniqueur scrutateur, humblement engagé dans les méandres de la Justice. Considérez cette plaidoirie comme l’écho d’un citoyen qui prête sa voix à celle de tout un peuple. Recevez-la, je vous en prie, avec la bienveillance due à une démarche respectueuse, sans malice ni offense.
Si lors du procès à la sauvette des ravisseurs, il n’a été question que de Steve Amoussou, pourquoi donc invoque-t-on « Hounvi » à tout bout de champ ? Rappelons-le : ce n’est pas à Monsieur Amoussou de prouver qu’il n’est pas « Hounvi », mais à la justice de prouver l’inverse. « Actori incumbit probatio » : la preuve incombe au demandeur. Ce dossier est un gouffre de vice procédural, et in limine litis, il appartiendra au ministère public de prouver, au-delà de tout doute raisonnable, que l’homme en cause est bien ce mystérieux « Hounvi ».
Monsieur le Président,
Messieurs les membres du Tribunal,
Que la gravité de ce jour soit à la mesure de l’enjeu que nous portons ensemble : une justice bafouée, un procès entaché, et la dignité d’un homme traînée dans la boue par la main invisible de l’arbitraire. Steve Amoussou, un citoyen, un réfugié, un être humain, a été enlevé en terre étrangère, au mépris du droit international, pour être transformé, ici même, en une chimère, celle du « Frère Hounvi ». Mais à quel moment, Monsieur le Président, a-t-on pu prouver que cet homme serait celui qu’on nomme ainsi ? Où sont les preuves tangibles, irréfutables, « Idem est non esse aut non probari » ; ce qui n’est pas prouvé est comme si cela n’existait pas.
La Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme a jugé, en une rapidité rare, les ravisseurs de Monsieur Amoussou. Mais qu’a-t-elle fait ? Elle les a blanchis. Elle a infligé des peines d’une rare complaisance, en reconnaissant pourtant que leur acte, un rapt transfrontalier, est une « arrestation illégale ». Et tandis que ce procès se jouait en accéléré, personne ne s’est interrogé sur la dette imaginaire brandie pour justifier ce rapt. Une dette de dix millions, monsieur le Président, un chiffre soufflé comme par enchantement, sans le moindre créancier, sans la moindre trace, et sans que la justice béninoise n’ait eu la sagesse d’émettre un mandat d’arrêt contre cet imposteur imaginaire.
Monsieur le Président, à quel moment la fiction a-t-elle pris le pas sur le réel ? La justice béninoise a reçu un captif arraché à sa terre d’asile, l’a mis en détention, et l’a jugé sans le moindre souci de légalité. « Fraus omnia corrumpit » ; la fraude corrompt tout. Et cette fraude, celle de la procédure, a été admise par ce tribunal. Mais si la justice a elle-même déclaré « l’arrestation illégale », pourquoi poursuivre dans ce chemin de l’erreur ? L’erreur, monsieur le Président, est humaine, mais la persévérance dans l’erreur est diabolique.
Monsieur Amoussou a été kidnappé au Togo pour une dette illusoire, et dans les mains de la police béninoise, il devient subitement « Frère Hounvi ». Mais qu’avons-nous ici ? Des conjectures, des hypothèses, des suppositions, et aucun lien probant. Pas une seule fois le nom « Hounvi » n’a été mentionné par ses ravisseurs, pas un seul élément de preuve n’a été fourni pour identifier Monsieur Amoussou comme le « Frère Hounvi ». « Actori incumbit probatio » ; la preuve incombe au demandeur. Si le ministère public n’apporte pas cette preuve, que reste-t-il sinon le doute ? Et dans le doute, « In dubio pro liberta » : la liberté doit primer.
Monsieur le Président,
Messieurs les membres du Tribunal,
Je vais argumenter cette plaidoirie avec les jurisprudences qui jettent une lumière éclatante sur les manquements de la présente procédure.
Permettez-moi d’invoquer en premier lieu l’affaire Soering contre le Royaume Uni (1989). La Cour européenne des droits de l’homme avait, dans cette affaire, reconnu que l’extradition vers un pays où le risque de traitement inhumain ou dégradant était avéré, constituait une violation des droits fondamentaux. Monsieur Steve Amoussou a subi pire qu’une extradition ; il a été victime d’un enlèvement transfrontalier, une pratique que les conventions internationales ont, à juste titre, jugée contraire au droit et aux procédures de la justice. Un tel acte, monsieur le Président, ne peut en aucun cas être la base légale d’une mise en examen.
L’affaire États-Unis contre Alvarez-Machain (1992) vient renforcer ce constat. La Cour suprême des États-Unis s’est penchée sur le cas d’un ressortissant mexicain enlevé illégalement pour être traduit devant la justice américaine. Bien que ce procès ait eu lieu, la légalité de l’enlèvement fut questionnée et a soulevé une critique internationale quant à la procédure utilisée. Ce parallèle est plus qu’évident, monsieur le Président : la police béninoise a, de fait, accepté de recevoir un captif enlevé au Togo, puis l’a mis sous mandat de dépôt sans interroger la légalité de l’opération ni la légitimité des charges retenues. Dès lors, il s’agit d’un vice de procédure incontestable, car la mise en examen de Monsieur Amoussou est fondée sur un acte illégal.
Plus loin encore, l’affaire Ocalan contre la Turquie (2005) nous enseigne que l’arrestation d’un individu en dehors de la procédure prévue par le droit international constitue un abus de droit. La Cour européenne a déclaré que l’enlèvement d’Abdullah Öcalan par des agents turcs en terre kényane était illégal. L’arrestation de Monsieur Amoussou au Togo et sa mise en détention au Bénin, sans la moindre autorisation formelle, reproduit cette même erreur de droit : une arrestation entachée d’irrégularité, viciée dès son origine, frappée de nullité.
Enfin, monsieur le Président, comment ne pas faire mention de Lopez contre les États-Unis (1992), où la Cour suprême des États-Unis a annulé une condamnation sur la base de vices de procédure majeurs ? Le procès était entaché d’irrégularités ; de la même manière, ici, l’acceptation d’un captif kidnappé, remis entre les mains de la justice béninoise sans la moindre trace de respect pour le cadre légal, constitue une fraude à la procédure.
Monsieur le Président, j’insiste respectueusement : à quel moment, dans ce théâtre d’ombres, Steve Amoussou est-il devenu « Frère Hounvi » ? Quelle est la preuve apportée in limine litis par le ministère public ? « Actori incumbit probatio » : c’est au demandeur de prouver que l’accusé est bien celui qu’on prétend qu’il soit. Si l’on ne parvient pas à établir ce lien sans faille, je vous demande, au nom de la justice et de la raison, de renvoyer cette procédure aux oubliettes, de libérer Monsieur Amoussou, et de rendre justice à celui qui en est injustement privé.
Monsieur le Président, à qui profite ce doute, sinon à l’accusé ? Si la justice n’est pas certaine, si elle vacille, elle doit choisir le chemin de la liberté, non celui de l’arbitraire. Ici, le doute plane sur tout. Depuis le rapt lui-même jusqu’à l’accusation finale. On prétend que l’arrestation de Steve Amoussou aurait provoqué le silence de « Frère Hounvi ». Mais qui peut jurer que ce silence n’est pas orchestré par les vrais coupables, pour détourner l’attention et confondre la justice ?
Monsieur le Président, cet acte de réception d’un captif kidnappé en terre étrangère, sans mandat ni autorité, doit être considéré comme la raison première du vice de procédure qui entache toute cette affaire. Votre tribunal accepterait-il de juger un homme qui a été arraché à son pays d’asile dans des conditions aussi honteuses ? Accepteriez-vous que cette justice que nous vénérons soit l’instrument de l’arbitraire ?
Monsieur le Président, ce procès, tel que cela se lit, est une injure à l’intelligence de la justice. Si le droit doit être la base de tout développement, alors il ne peut pas sombrer dans le néant. Il ne peut être piétiné pour servir des intérêts particuliers ou pour masquer les erreurs d’un système policier devenu, hélas, receleur. Monsieur le Président, le peuple au nom de qui vous rendez justice vous demande humblement de libérer Monsieur Amoussou, avec des excuses, pour tout le tort qu’il a subi.
Et s’il est une prière à adresser pour conclure cette plaidoirie, que ce soit celle-ci : « Dieu, pardon, montre-nous tes signes de Justice… »
François Comlan