Les dirigeants des pays d’Afrique de l’Ouest devraient se réunir jeudi dans la capit ale nigériane, Abuja, pour discuter de leur réponse au coup d’Etat militaire au Niger où la junte nigérienne a ignoré un ultimatum l’enjoignant à réintégrer le président renversé ou faire face à une éventuelle intervention militaire.
Les putschistes ont arrêté le président Mohamed Bazoum le 26 juillet et ont choisi Abdourahamane Tchiani, ancien chef de la garde présidentielle, pour diriger le Conseil national de la sauvegarde de la patrie (CNSP), un organe directeur créé par les soldats après le coup d’Etat, qui exerce depuis lors les pouvoirs législatifs et exécutifs.
Ce coup d’Etat, le troisième du genre en Afrique de l’Ouest en trois ans, a suscité la condamnation de nombreux pays africains, qui considèrent ce changement anticonstitutionnel de pouvoir comme une menace pour la stabilité et le développement du continent. La communauté internationale craint que l’instabilité dans la région du Sahel ne favorise l’extrémisme.
Les observateurs estiment que le coup d’Etat ajoute aux incertitudes auxquelles est confrontée la région, qui se remet difficilement de la pandémie de COVID-19, du terrorisme et des crises humanitaires. Ils pensent que toute intervention militaire aurait des conséquences qu’aucun pays ne peut se permettre et qu’une solution pacifique est la meilleure solution.
AU DELA DU COUP D’ETAT
Le CNSP a déclaré que les soldats ont renversé M. Bazoum en raison de « la détérioration continue de la situation sécuritaire » et de « la mauvaise gouvernance économique et sociale » dans le pays.
Selon la Banque mondiale, le Niger a une économie peu diversifiée, l’agriculture représentant 40% de son PIB. Plus de dix millions de personnes, soit 40% de la population, vivaient dans l’extrême pauvreté en 2021.
En outre, le pays est confronté à un afflux de réfugiés fuyant les conflits au Nigeria et au Mali voisins. Les Nations Unies ont recensé au Niger plus de 370.000 déplacés et plus de 250.000 réfugiés.
Au cours de la dernière décennie, les troubles au Sahel, une vaste région semi-aride d’Afrique qui s’étend du Sénégal au Soudan, ont mis en péril la sécurité du Niger, situé au cœur de la région.
En 2011, une intervention militaire menée par l’OTAN en Libye a renversé l’ancien dirigeant Mouammar Kadhafi et les troubles qui ont suivi pendant une décennie ont entraîné un trafic d’armes effréné au Sahel, où les groupes armés liés à Al-Qaïda et à l’Etat islamique se sont considérablement développés. Selon un rapport de Mark Green, patron du Wilson Center, un think tank basé à Washington, le Sahel représente 43% des décès dus au terrorisme dans le monde, soit plus que l’ensemble de l’Asie du Sud et du Moyen-Orient.
C’est juste après la chute de Mouammar Kadhafi que « le terrorisme a commencé dans la région du Sahel », estime Bella Kamano, un analyste politique basée à Conakry, la capitale de la Guinée.
« Les populations du Niger se plaignent de l’insécurité dans leur pays. Il ne se passe pas une semaine ou un mois sans que des terroristes ne prennent des otages et ne commettent des attentats contre les habitants des villages de ce pays », a-t-il dit, soulignant que tous les pays du Sahel subissent les conséquences de la guerre en Libye.
La dégradation de la situation sécuritaire a contribué à la montée d’un sentiment anti-occidental en Afrique de l’Ouest ces dernières années. La semaine dernière, des milliers de personnes ont défilé dans les rues de Niamey, la capitale du Niger, dénonçant l’ancienne puissance coloniale du pays et incendiant une porte de l’ambassade de France. Le CNSP a également révoqué cinq accords de coopération militaire signés avec la France entre 1997 et 2020.
Sheriff Ghali, expert en relations internationales à l’université d’Abuja au Nigeria, juge que les causes du coup d’Etat au Niger sont complexes, les difficultés économiques à long terme et les dilemmes sécuritaires en étant les principaux facteurs. Les conflits régionaux, tels que la guerre en Libye et les coups d’Etat au Burkina Faso et au Mali ces dernières années, ont également des répercussions.
« Cela va affecter l’intégration économique de l’Afrique de l’Ouest. Pourquoi ? Parce que les militaires prennent progressivement le pouvoir au détriment du gouvernement civil », note M. Ghali. « Nous allons être divisés. Et lorsque nous serons divisés, nous serons davantage balkanisés et polarisés, contrôlés à l’échelle du continent par les soi-disant puissances ».
VIDE SECURITAIRE, CATASTROPHE HUMANITAIRE
La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), une organisation intergouvernementale régionale composée de 15 pays, a lancé un ultimatum et menacé de recourir à la force pour « rétablir l’ordre constitutionnel » au Niger si la junte n’obtempérait pas. Toutefois, le CNSP a refusé de faire marche arrière à l’expiration du délai, dimanche. Les dirigeants de la CEDEAO devraient discuter de la crise jeudi à Abuja.
Les observateurs estiment que les troubles au Niger auront un impact sérieux sur la politique, l’économie et la sécurité de l’Afrique de l’Ouest. Si cette crise n’est pas résolue de manière adéquate, elle compromettra davantage la stabilité politique et l’intégration économique de la région.
Le conflit imminent aura des conséquences, juge Bella Kamano. « Les investisseurs étrangers ne peuvent pas prendre le risque de venir investir dans un pays qui est sur le point d’être déstabilisé, et cette déstabilisation est susceptible d’avoir des répercussions dans la région », dit-il en estimant que « toute attaque contre ce pays pour déloger la junte risque de provoquer une pauvreté aiguë sur le plan social ».
Pire encore, les troubles consécutifs à une intervention militaire au Niger pourraient laisser un vide sécuritaire. Le monde a assisté à un scénario similaire en Syrie il y a dix ans, qui a débouché sur une catastrophe humanitaire créée par l’Etat islamique.
« D’un point de vue sécuritaire, le Niger constituait ce rideau de paix entre les terroristes et les pays du Sud. Et si le Niger est déstabilisé, personne ne pourra empêcher les terroristes qui sont de l’autre côté du Sahel de traverser le Niger et d’être présents dans des pays comme la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Bénin, le Togo, le Nigeria, etc », avertit M. Kamano. Pour lui, « si le Niger est déstabilisé, la sous-région risque d’être confrontée au terrorisme dans toutes les directions et nous risquons de nous retrouver avec une prolifération d’armes de toutes sortes dans la sous-région ».
Les Nations Unies ont mis en garde contre une crise humanitaire dans la région. « Le problème aérien actuel est que nos vols humanitaires ne peuvent pas voler à l’intérieur du pays (Niger), ce qui signifie que nos opérations humanitaires sont suspendues », a déploré Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.
Le Niger compte actuellement 4,3 millions de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire, contre 1,9 million en 2017, a précisé M. Dujarric.
Le Niger a des frontières avec sept pays, dont le Nigeria, la plus grande économie d’Afrique. Selon Sheriff Ghali, le grand nombre de réfugiés nigériens qui pourraient émerger du conflit exercera une pression énorme sur les voisins du Niger.
De nombreux groupes de réfugiés deviendraient des cibles de recrutement pour les organisations extrémistes actives en Afrique de l’Ouest. M. Ghali estime que si la CEDEAO intervenait militairement au Niger, cela aurait un impact négatif sur les troupes dans la région qui luttent contre le terrorisme et aggraverait une situation déjà tendue.
LA VOIE A SUIVRE
Compte tenu des conséquences désastreuses d’une intervention militaire, les pays de la région et la communauté internationale cherchent des solutions politiques à la crise du Niger.
Le Nigeria dispose des forces militaires les plus importantes d’Afrique de l’Ouest et exerce la présidence tournante de la CEDEAO. Le 5 août, le Sénat nigérian a rejeté la demande du président Bola Tinubu d’envoyer des troupes au Niger, appelant la CEDEAO à explorer des solutions politiques à la crise actuelle.
Tout en soutenant la CEDEAO face au coup d’Etat, la France, qui dispose d’environ 1.500 soldats au Niger, a l’intention de ne pas intervenir militairement.
Le Burkina Faso et le Mali, deux membres de la CEDEAO, ont quant à eux exprimé leur « solidarité » avec la junte nigérienne. Les deux gouvernements de transition, mis en place après la prise de pouvoir par la force des militaires dans les deux pays, ont affirmé leur soutien aux soldats nigériens et ont rejeté « les sanctions illégales et illégitimes contre le peuple et les autorités nigériennes ».
Les deux pays ont également averti que toute intervention militaire au Niger serait considérée comme une déclaration de guerre à leur encontre et entraînerait le retrait du Burkina Faso et du Mali de la CEDEAO.
Malgré sa prise en otage, M. Bazoum a publié une tribune dans le Washington Post au début du mois, demandant l’aide de la communauté internationale. Il a déclaré que le coup d’Etat, lancé contre son gouvernement par une faction de l’armée, n’avait aucune justification. S’il réussit, « il aura des conséquences dévastatrices pour notre pays, notre région et le monde entier ».
Le Conseil de sécurité des Nations Unies et le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine ont condamné le coup d’Etat militaire, appelant à la libération immédiate et inconditionnelle du président Bazoum et à la poursuite des efforts pour rétablir l’ordre au Niger.
« Nous avons un pays qui est en crise à la suite d’un coup d’Etat et qui partage ses frontières avec d’autres pays. Nous devons donc veiller à ce que la crise soit résolue pacifiquement », avertit M. Kamano.
« Au lieu de mettre en branle l’arsenal militaire de la CEDEAO pour résoudre la situation au Niger, il serait mieux de mettre en branle cet arsenal militaire pour lutter contre le terrorisme et contre l’insécurité dans la sous-région, principalement au Sahel », ajoute-t-il.
Selon M. Ghali, bien qu’il y ait peu de place pour résoudre la crise nigérienne par des pourparlers de paix à l’heure actuelle, la communauté internationale, l’Union africaine et la CEDEAO doivent privilégier les moyens politiques et diplomatiques.
« La seule manière de traiter les conflits régionaux et l’insécurité est de déployer des efforts concertés », résume-t-il. Fin
(Xinhua)